Des us et des coutumes

Ça commence à frétiller dans les magasins et dans les foyers. Un peu comme on peut voir poindre l’ouragan à l’horizon, le Têt (Nouvel An lunaire) approche. Pas de velours qui vont devenir grandes enjambées. Une ambiance déconcertante pour un étranger.

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Un génie qui mérite le respect.
Photo: Hoàng Phuong/CVN

Pour beaucoup d’Occidentaux, le mot tradition résonne avec folklore ou nostalgie. La fête traditionnelle, c’est celle que l’on court pendant les vacances, où des figurants rejouent le film de temps oubliés, mis en scène par l’office de tourisme du coin, pour la plus grande joie de badauds venus se prendre une bouffée d’histoire locale dans l’odeur des merguez-frites ou de la barbe à papa.

Le plat traditionnel, c’est celui qui fait le bonheur des restaurateurs, traiteurs et autres commerces de bouche, dont la recette tirée de vieux grimoires de cuisine, émoustille les papilles de tous les nostalgiques de la bonne cuisine d’antan. Ici, la tradition n’est pas… encore un produit commercial destiné à attirer le curieux. Même, si le tourisme surfe dessus avec délice, il reste attaché à la vie quotidienne de la plupart des Vietnamiens. Ce qui n’est pas sans surprendre l’immigré que je suis.

Génie y es-tu?

De toutes les coutumes qui rythment la vie des Vietnamiens, celles du Têt me paraissent les plus étranges. Certes, j’ai l’habitude de l’agitation consumériste de l’avant Noël ou Jour de l’An, du côté des grands boulevards parisiens et des moins grands provinciaux. Certes, la pratique de l’étrenne et du cadeau m’est familière, mais le moins que je puisse dire, c’est qu’au Vietnam tout semble dans la démesure irrationnelle, quand on a été nourri au lait de la logique cartésienne. Tout commence par ce fameux génie du foyer qui loge chez moi depuis le dernier Têt.

Ça, pour être discret, il est discret. J’ai eu beau fouillé mes armoires, soulevé toutes les malles de ma phòng kho (la chambre fourre-tout qui équivaut au grenier dans les chaumières normandes ou autres…), jamais je n’ai trouvé l’endroit où ce génie avait élu domicile. Avouez que c’est un peu gênant de savoir que vous avez quelqu’un chez vous, que vous ne voyez jamais, mais qui observe vos faits et gestes en permanence, y compris dans l’intimité! À tel point qu’on finit par l’oublier. Sauf qu’à l’approche du Têt, il se charge bien de rappeler sa présence virtuelle. Brusquement, dans la tête de chaque Vietnamien, une petite voix prend de l’ampleur: "N’oublie pas, sept jours avant le Têt, dans quelques semaines, dans quelques jours, le Génie du foyer (Ông Táo) va faire son rapport sur la famille auprès de l’Empereur de Jade. Et, si le rapport est mauvais, alors tu risques d’avoir une année difficile, voire si il est très mauvais, une année écourtée par suite de disparition prématurée".

Alors forcément, quand ce genre de menace plane sur sa tête, on a tout intérêt à arranger le coup avec le génie, surtout si notre conscience est aussi chargée qu’une mule en période de transhumance… Voilà pourquoi, chacun se retrousse les manches, sort les seaux, serpillères, balais, pinceaux et autres instruments de ravalements du placard, et se met à astiquer la maison de fond en comble. On lave, rince, décrasse, décape, récure, blanchit, brique à n’en plus finir.

À croire que chaque maison était devenue une écurie d’Augias. D’ailleurs, le travail est parfois tellement herculéen que des esprits avertis ont créé des entreprises de personnel intérimaire pour aider à cette opération nettoyage. Pour le plus grand bonheur des étudiants qui en profitent pour s’offrir un travail saisonnier et arrondir leur pécule. Mais pour satisfaire, Ông Tao, on ne s’arrête pas en si bon chemin. À son retour, le soir du Réveillon du Têt, son successeur (le contrat de génie du foyer est annuel, non-renouvelable) doit trouver une famille propre comme un sou neuf. Des corps propres dans des vêtements neufs! Bonne affaire pour le textile. Chacun doit renouveler sa garde-robe, ou pour le moins s’offrir quelques nouveaux habits.

La tradition de l’étrenne (lì xì) du Têt traditionnel.
Photo: ST/CVN

Liquide en stock

Autrefois, chaque famille se transformait en atelier de couture, filage et tissage pour répondre à cette injonction. Aujourd’hui, les motos et les voitures envahissent les parkings des supermarchés pendant que leurs propriétaires font de même avec les rayons vêtements. Et, tant qu’à faire, ils en profitent aussi pour passer au rayon cadeaux, parfumerie, bazar, alimentation… Car, la tradition du Têt, c’est aussi ce qu’il y a sur la table et ce qu’il y a dans la poche.

Aujourd’hui, je passe sous silence les arts de la table pour cette grande fête. J’y reviendrai… Je vais juste vous faire part de mon étonnement, même après 25 ans d’accoutumance de la culture vietnamienne pour les étrennes du Têt. Un vrai choc culturel! Avant de venir habiter au Vietnam, j’avais pour coutume d’offrir des étrennes sous forme d’objets censés faire plaisir au récipiendaire, harmonieusement emballés dans un papier coloré, argenté ou doré, doté d’un nœud qui a défaut d’être gordien, apportait une touche esthétique à l’ensemble.

Utilitaire ou pas, l’objet était déballé à force de cri de joie et de surprise qui montrait combien j’étais observateur et avais bien perçu les plus profonds désirs de ceux à qui j’offrais ces étrennes. Du moins étais-ce la règle de politesse. Après peu importait où finissait mon offrande… On ne me demandait jamais combien ça m’avait coûté, même si on pouvait l’estimer. Quand on aime on ne compte pas. La tradition de l’étrenne (lì xì) du Têt, le lì xì m’a démontré le contraire: quand on aime, on compte.

Quelques semaines avant le Têt, la chasse aux billets neufs est ouverte, on assiège les banques pour retirer des fonds sous forme de billets tout frais sortis de l’imprimerie, bien lisses, bien propres, pour les glisser dans de petites enveloppes rouges que l’on va offrir à ceux qui nous sont chers… où dont nous souhaitons recevoir les faveurs. Et, parfois l’enveloppe est grasse et grosse. En voyant circuler cette liquidité, il m’arrive de me demander quelle forme aurait le lì xì dans les pays où l’argent liquide a quasiment disparu au profit du paiement par carte bancaire. Pas toujours facile de respecter la tradition.

Je vous laisse car je dois blanchir de l’argent. Opération qui consiste à récupérer de vieux billets qui traient au fond des tiroirs et à les repasser pour leur redonner un coup de neuf.


Gérard BONNAFONT/CVN

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