Le pire n’est jamais certain

Nous ne sommes jamais certains de quoi sera fait demain, et la vie peut nous réserver des surprises, bonnes ou mauvaises. Les premières sont généralement accueillies avec joie, les secondes peuvent entraîner des émotions variables de maussade à très grande tristesse.

>>C'est le premier pas qui compte

>>À la fortune du pot

>>Tout feu, tout flame

Ce matin-là, votre serviteur s’est levé un peu fatigué par une succession de longs voyages immobiles et de nuits courtes. Un rythme de vie qui a de quoi affoler les tensiomètres et endormir les artères. Mais, le devoir m’attend sous la forme d’une petite fille de 4 ans qui, avec ses parents, a bien l’intention d’aller rendre visite à ce cher vieux Confucius. La journée est belle,  la lassitude s’envolera comme rosée  au soleil du matin.

Tension

Deux heures plus tard, notre chauffeur nous dépose à côté de Van Miêu - Quôc Tu Giam (Temple de la Littérature) de Hanoï. Comme jadis, l’empereur descendait de cheval, nous faisons de même de notre véhicule, juste devant la stèle, bien nommée, de Descente de Cheval. Tandis que mon épouse s’empresse d’acheter les billets, sésames obligatoires pour entrer dans le monde confucéen, je commence à expliquer l’importance des deux «licornes-lions» qui trônent au-dessus des deux piliers centraux du portique extérieur.

À ce moment, sans doute irritée  que je ne lui accorde pas plus d’importance, la petite douleur lancinante, qui chatouille le côté gauche de mon thorax, se manifeste de façon plus insistante. Qu’importe, lancé dans mon explication, je la refoule au rang de soucis secondaires et je continue à décrire à qui veut bien l’entendre la symbolique confucianiste qui se déroule devant nous.

Dans la première cour, je commence à me dire que tout compte fait, cette gêne intercostale devient irritante ; dans la seconde, je commence à alterner vague de chaleur et vague de froid. En arrivant dans la cour des stèles, j’ai de plus en plus de mal à aligner les mots les uns derrière les autres, et les tortues qui, d’habitude me paraissent paisibles, se transforment tout à coup en bestiaire grimaçant.

La douleur devient transfixive, s’intensifie, les jambes flanchent, le front est moite… la foule me paraît soudain bien lointaine, comme une rumeur sur fond de palpitations cardiaques. En l’absence de données objectives, le diagnostic est difficile à poser : entre l’imminence d’une crise cardiaque qui me ferait rejoindre les stèles des dignes docteurs du temps passé, et la simple manifestation neurologique d’une fatigue carabinée,  les possibles sont multiples. Et c’est plutôt d’Hippocrate que de Confucius dont j’ai besoin à ce moment. Et pour cela, il faut changer de temple.

Décontraction

Imaginez la scène qui s’offre brusquement au réceptionniste de l’hôpital : un Tây (Occidental) plié en deux, main crispée sur la poitrine, accompagné d’une Vietnamienne affolée qui exige un lit, un médecin, un professeur, une équipe chirurgicale, et que sais-je encore. Je ne sais si c’est mon apparence ou son insistance, mais en quelques secondes, on me pousse dans une salle de soins d’urgence où un brancard-lit me tend son matelas réglable. Là, à peine séparé par un rideau d’une jeune femme enceinte soumise à des examens sanguins, je me retrouve sous perfusion, branché à un électro-cardiomètre, bras emprisonné dans un tensiomètre, et soumis au feu roulant des questions de l’urgentiste.

Rien de très amusant dans tout cela, me dites-vous ! Ça va venir !  Pour l’instant, les premiers paramètres ne sont pas inquiétants, et ma douleur en profite pour s’estomper et disparaître. En d’autres lieux, j’en aurais conclu que c’était le stress qui m’avait joué un mauvais tour, mais dans cette salle d’urgence d’un hôpital, impossible de se contenter de ça. Puisque je suis là, mes hôtes veulent absolument me faire visiter la salle de radiographie, me faire tester le confort des chambres et l’habileté des infirmières à faire des trous dans mes veines.

Si j’avais été là-bas, du côté de l’Atlantique, j’aurais été coupé du monde, livré pieds et poings liés au diktat médical, mais là, miracle du Vietnam, c’est une journée à la vietnamienne qui m’attend. En effet, au Vietnam, l’hospitalisation est une affaire familiale : il y a le malade dans son lit, mais également les membres disponibles de la famille qui viennent lui tenir compagnie, jour et nuit, partageant parfois sa couche, lui apportant sa nourriture, lui administrant quelquefois eux-mêmes les remèdes. Il se crée ainsi une forme de convivialité dans les chambres et salles de soins, conforme au mode de vie collective du Vietnamien.

Et bien, grâce à mon épouse, je peux vivre la même chose  dans ce cadre aseptisé. La salle d’urgence devient une salle des pas perdus. Tandis que l’on me larde de piqûres, l’amie intime de mon épouse vient lui tenir compagnie en ma compagnie. Bavardages, éclats de rires, plaisanteries, j’ai l’impression d’être dans une cour de récréation. Les infirmières au passage se mêlent à la conversation. L’hôpital devient le dernier endroit où l’on cause.

Finalement, je dois laisser la place à une nouvelle arrivée. Promenade dans les couloirs dont j’admire le plafond. Installation dans une chambre déjà occupée par un homme qui arbore un magnifique pansement crânien. Il n’y a plus qu’à attendre… mais pas au calme. En effet, par un visiteur de mon compagnon de chambre, mon épouse apprend que le malade est de son quê (village natal). Je ne sais pas si l’on lui avait prescrit un repos post-traumatique, mais c’est loupé.

Mon épouse et son amie entreprennent de recenser avec lui toutes les connaissances communes qu’ils pourraient avoir sur une cinquantaine de kilomètres carrés, puis de remonter la ligne généalogique de chacun. Difficile quand on a été trépané. Le pauvre bégaie, grimace, éructe, rien n’y fait. Imperturbable ses bourrelles (féminin de bourreaux) continuent à solliciter ses neurones. Charmante attention des Vietnamiens qui ne laissent jamais un des leurs dans l’adversité.

Enfin, fatigué, le duo décide de se reposer en me poussant dans un coin de lit. Lorsque le médecin est rentré une heure plus tard pour m’annoncer ma libération, il a marqué un temps d’arrêt en voyant dans le même lit, un patient sous perfusion, allongé auprès d’une femme, et une autre roulée en boule à ses pieds. À sa façon de me dire de prendre soin de mon cœur, je le soupçonne d’avoir eu de curieuses pensées.


Gérard Bonnafont/CVN

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