Ne pas déranger

"Lâchez-moi un peu!". Cette expression du français populaire - à ne pas utiliser quand on est suspendu au-dessus du vide - est un appel à la tranquillité, au besoin d’intimité, à l’envie d’être seul pour se ressourcer… Pas toujours facile!

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À la recherche d’un coin tranquille.

Après une longue et rude journée de travail, parfois, quel bonheur de chausser ses pantoufles et confortablement s’installer dans son fauteuil pour regarder un film ou lire un livre, avec pour seule règle: être tranquille! Seulement, les Vietnamiens sont là pour me rappeler que du rêve à la réalité, il y a un gouffre.

Enfin seul?

D’abord, ici, inutile de chercher les pantoufles, l’usage est de se déplacer nu-pieds à la maison. Mais qu’importe, la tranquillité, c’est bien aussi sans charentaises (Je parle bien sûr de ces fameux chaussons aussi attachés au Français que le béret basque ou la baguette de pain sous le bras, et non des sympathiques habitantes de Saintes ou d’Oléron).

Cependant, s’offrir une séance de cinéma solitaire à domicile relève de l’exploit. À moins d’être capable de suivre l’action en pointillé, entre les différentes interruptions d’une épouse qui s’inquiète pour savoir si tout va bien, ou d’une fillette qui s’impatiente parce que pour elle, jouer au ballon est plus important que de savoir si le méchant du film va être puni. Sans parler des entractes imposés par les autres membres de la communauté familiale qui viennent s’enquérir à tour de rôle de ma santé.

En désespoir de cause, je peux toujours prétexter un travail important pour m’exiler dans mon bureau. Enfin seul! Las, mon espoir est de courte durée. J’ai juste le temps d’ouvrir la première page du livre que je destine à ma gourmandise intellectuelle, quand la porte s’ouvre discrètement pour laisser passer (par) une épouse qui vient me demander si tout va bien, puis par la tata qui décide que finalement mon bureau a une température idéale pour que tout le monde s’y installe et continue à bavarder.

Inutile d’espérer, ne serait-ce que cinq minutes d’isolement. Il ne me reste que la ressource de m’enfermer à double tour dans la salle d’eau ou dans les toilettes. Et encore, si je disparais plus de quelques minutes, il y aura toujours quelqu’un pour s’enquérir de ma santé, mon confort, ou que sais-je encore.

Je suis toujours surpris de constater à quel point la sollicitude du Vietnamien s’exacerbe à la vue de toute personne qui cherche désespérément à s’isoler. Et, cette prévenance familiale n’est pas exclusive de ma famille. C’est comme cela dans nombre de familles vietnamiennes. On vit ensemble, pas les uns à côté des autres. Souvent, les enfants dorment avec les parents jusqu’à l’âge de 5 ou 6 ans.

Parfois, en été, on se réunit tous dans la même pièce, celle qui a le climatiseur, pour dormir ou se reposer. Le soir, nombreuses sont les portes grandes ouvertes sur la rue qui laissent apparaître la vie privée des soirées familiales. Sans doute, difficile de comprendre pour un Occidental, habitué à son espace privé, clos et délimité, dans lequel il peut s’enfermer des heures durant sans être dérangé.

Tous ensemble!

Alors, puisque l’intimité n’existe pas en famille, on peut la découvrir à l’extérieur. Nouvelle erreur! Si je musarde dans une ruelle quasi déserte pour goûter le calme d’un matin d’été, il y a toujours quelqu’un pour me demander si je ne suis pas perdu. Et si j’ai l’imprudence d’entamer une conversation, mon interlocuteur se transforme en mentor pour me guider.

Si je me promène dans un village, nez au vent, pour le seul plaisir de m’imprégner d’une atmosphère, je n’ai besoin que de quelques pas pour qu’aussitôt une ribambelle d’enfants de jeunes et de moins jeunes viennent m’entourer pour me demander d’où je viens, qui je suis, où je vais. Et si je n’y prends garde, mon initiale balade solitaire se transforme en réception collective dans la première maison où l’on m’invite à boire du thé vert. Depuis que je suis au Vietnam, je ne sais plus combien de barriques de thé j’ai pu boire dans ces conditions.

La lecture, un des moyens pour se relaxer à la maison.

Même en rase campagne, dans un endroit que l’on croit oublié des hommes et des dieux, si je m’arrête pour admirer le paysage ou pour satisfaire un besoin naturel, il ne se passe pas une minute sans qu’un visage curieux, étonné ou hilare, ne surgisse devant moi pour engager la conversation. Cette promiscuité sociale ne s’arrête pas au seuil de la maison, aux trottoirs des villes ou aux creux des chemins de campagne: on la retrouve aussi sur le lieu de travail. Mais ici, loin d’être une source de stress comme en Occident, c’est plutôt une façon d’entretenir des rapports conviviaux…

Par exemple, l’autre jour, je passe dans une administration pour effectuer quelques formalités. Comme d’habitude, en attendant mon tour, j’observe la vie de l’autre côté du guichet. Ici, un simple bureau sépare le client du fournisseur. Lequel fournisseur est représenté par un nombre considérable de personnes qui partagent le même espace, sans souci de l’ordre hiérarchique. Alors qu’à l’Ouest, on aime bien disposer d’une pièce personnelle pour manifester sa supériorité, ici, à peine remarque-t-on un fauteuil plus important ou un bureau plus grand qui témoigne du grade de son utilisateur. Pour le reste, on partage tout, bons et mauvais moments.

Ce jour-là, c’est un bon moment puisque soudain, guichetiers, employés, chefs et sous-chefs quittent leurs bureaux respectifs pour s’agglutiner autour d’une de leur collègue. Bouquet de fleurs, félicitations, poignées de main, cadeau, etc. J’apprendrais au retour de ma guichetière que le service vient de fêter l’anniversaire de l’une d’entre eux. En France, ça se fait le soir, en catimini, après la fermeture des bureaux, en toute… intimité. Ici, ça se fait au vu et su des clients, en pleine journée de travail, en toute… publicité.

Finalement, à tout prendre, entre le chacun chez soi et le tous pour tout, qu’est-ce qui vaut le mieux?


Gérard Bonnafont/CVN

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