Santé à tous crins

Surnommés les "Immortels", trois frères, presque centenaires du delta du Mékong, ne sont pas des riverains comme les autres. Dotés d’une "chevelure de dragon", cela fait 70 ans qu’ils ne se sont pas coupés les cheveux.

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M. Tâm Nhon.

Dans la commune de Dông Hoà, district de Châu Thành, province de Tiên Giang, tout le monde connaît bien les trois frères nonagénaires qu’on appelle respectueusement les trois "Immortels". Ces derniers ont beau mener des vies différentes les unes des autres, ils partagent cette même caractéristique singulière: leur splendide chevelure blanche mesurant quelque… 3 m de long. Un style capillaire qui leur vaudra le surnom de "chevelure de dragon" par les habitants locaux. Leurs noms sont Nguyên Van Day (décédé il y a cinq ans, à l’âge de 92 ans), Nguyên Van Chiên (appelé aussi Tam Nhon, 92 ans) et Nguyên Van Tiên (91 ans).

Village de Dâu. Le chemin amenant à la maison de Tam Nhon est sinueux et désert. Au loin apparait un vieil homme au dos courbé et à la tête coiffé d’un turban de couleur brune. Il se présente "Bonjour! Je suis Tam Nhon. Attendez-moi quelques minutes! Je vais voir mon fils Nam Luom (63 ans cette année) prendre mon déjeuner, je reviens de suite", dit-il en réponse à la question des visiteurs, tout en marchant avec agilité. Sa ration du midi comprend un bol de riz et une assiette de légumes. "Je suis végétarien, et ce depuis 70 ans", explique-t-il. Sur le chemin du retour, il passe par la maison de sa fille Sau Thuy (58 ans), propriétaire d’une petite buvette, et y prend quelques bouteilles de rafraichissements pour  désaltérer ces "visiteurs venus de loin".

Un train de vie au cheveu près

La maison de Tam Nhon se situe au bord d’un arroyo. Il s’agit d’une petite habitation entourée de rangs de bambous. "C’est la +maison de cœur+ que la communauté locale a construite pour moi. Ce terrain a été défriché il y a longtemps par mon arrière-grand-père", confie le nonagénaire. Depuis cinq générations, sa famille pratique l’agriculture et l’élevage d’animaux de basse-cour. Ils suivent traditionnellement la religion dite du Tu ân hiêu nghia (quatre vertus de loyauté). Concrètement il s’agit d’observer la piété filiale pour ses parents et ses ancêtres ainsi que d’être reconnaissant envers la Patrie et ses compatriotes.

"Mon père défunt a eu trois fils: Day, Tiên et moi, Chiên. Nous avons tous les trois été marqués par deux choses: la longévité et la +chevelure de dragon+. S’agit-il d’une coïncidence? Ou peut-être que c’est précisément cette coiffure singulière qui nous protège et nous prodigue cette santé inouïe et à toute épreuve?", raconte Tam Nhon, tout en ôtant le turban de sa tête, laissant découvrir la fameuse torsade de cheveux blancs argentés qu’il doit soutenir avec les deux bras. Complètement défaite, la chevelure - des plus épaisses - semble s’enrouler sur son corps tel un python de cirque se lovant sur les épaules de l’artiste. La chevelure insolite mesure plus de 3 m de long.

Certains diront que l’histoire autour de ces trois frères "Immortels" est… tirée par les cheveux. Comme ses frères, il a commencé à entretenir ses cheveux à l’âge de dix ans. À 17 ans, Tam Nhon faisait ses études dans un lycée français à Saigon (aujourd’hui Hô Chi Minh-Ville). À la suite d’une remarque de son professeur qui ne pouvait "le distinguer de ses camarades féminins", Tam Nhon a été prié de se couper les cheveux.

Soucieux de son apparence, le jeune garçon a alors demandé à ses parents de les lui couper. "Et puis, presque immédiatement, un grand malheur s’est abattu sur moi. Je suis tombé gravement malade. Malgré les soins nombreux et intensifs des médecins, je suis devenu fragile et chétif. Cela a duré environ trois ans, jusqu’à ce que mes cheveux aient suffisamment repoussés. Heureusement, depuis, je me porte on ne peut mieux. Soit depuis ces 70 dernières années!".

Comme pour justifier le choix de son père, Sau Thuy ajoute: "Je dois dire n’avoir jamais vu mon père ni mes oncles malades ne serait-ce qu’une seule fois. Ils prennent soin de leurs cheveux et les protègent religieusement, de tout même de l’eau. En effet, les mouiller pourrait leur provoquer des maladies bénignes comme des maux de tête, des vertiges ou des coups de froid… Ainsi, ils doivent se laver avec l’aide de proches pour éviter à leur chevelure tout contact avec l’eau".

La maison de M.Tam Nhon.

Cependant, pour le nonagénaire, posséder une telle chevelure n’est pas une mince affaire. En effet, les longs cheveux s’agglutinent et pèsent très lourds. Ils nécessitent beaucoup d’entretien, il faut également les tresser et les disposer en torsade sur la tête. À cela vient s’ajouter le "regard désagréable des inconnus".

Dimension spirituelle

À l’âge de 30 ans, Tam Nhon était déjà père de sept enfants. En compagnie de ses frères, il est alors parti pour la province de Bên Tre afin de se consacrer à sa religion de Tu ân hiêu nghia. C’est en 1975, soit près de vingt ans plus tard, qu’il décide de rentrer au bercail. Depuis, il continue de pratiquer la religion à domicile, observe un régime végétarien et s’adonne à "prier pour la paix de la Patrie et la prospérité des compatriotes". "Pour nous, garder une chevelure naturelle et intouchée est une manière d’exprimer notre piété filiale", explique-t-il.

À l’âge de 92 ans, Tam Nhon se montre toujours leste et  lucide. Il peut lire et faire de la couture sans besoin de lunettes. "Il y a quelques années, je faisais même encore du jardinage. Mais la mort de ma femme m’a énormément touché... Dorénavant je prie simplement pour une vie paisible, pour moi et pour tout le monde".

À l’heure actuelle, la santé du nonagénaire lui permet de vivre de manière parfaitement autonome. "Ma descendance est nombreuse. Plusieurs d’entre eux sont prêts à m’accueillir à bras ouverts, mais je ne veux pas les gêner et je préfère vivre seul de toute façon". Son grand frère défunt a, lui aussi, une famille nombreuse. Seul le benjamin, Tiên, est resté célibataire et sans enfants. "Il vit dans une petite jonque sur le lac, et s’adonne corps et âme aux méditations et prières religieuses".

Une chose est certaine, c’est bel et bien cette crinière unique et remarquable qui fait la fierté de ces trois frères nonagénaires. "Il est certain que notre état de santé est étroitement liée à nos chevelures. Il suffit d’observer la couleur de mes cheveux pour connaître ma santé et mon état d’âme de la journée". Il se rapelle que peu avant sa mort, son grand frère Day commençait graduellement à perdre ses cheveux jusqu’au jour où, le scalp presque chauve, il rendit son dernier souffle.

Par égards pour les visiteurs qui désirent photographier sa chevelure inédite, Tam Nhon se tient devant l’autel, allume trois baguettes d’encens et les plante dans le brûle-parfum. Les deux mains croisées devant la poitrine, il se prosterne devant l’autel et murmure quelques prières.

Une fois terminé, avec un air cérémonieux, il lâche sa chevelure de dragon qui tombe jusqu’au sol. Un sourire fier se lit sur son visage.

  Nghia Dàn/CVN 

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