Souvenirs du premier reportage écrit sur le champ de bataille

Le concours «La VNA dans mon cœur», lancé par la VNA en l’honneur de son 70e anniversaire (15 septembre), a été l’occasion pour ses membres d’exprimer leurs sentiments et de se remémorer leur vie professionnelle. Nous reproduisons ci-dessous le texte de Vuong Nghia Dàn, 2e prix.

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Vraisemblablement, peu de journalistes sont capables de se rappeler le nombre d’articles qu’ils ont écrits dans leur vie. Mais il est certain qu’aucun d’eux ne peut oublier son premier reportage. Car ce qui touche le cœur est gravé à jamais. C’est aussi mon cas, moi une journaliste de l’Agence Vietnamienne d’Information (VNA) à la retraite, dont la première mission professionnelle reste toujours aussi vivante dans ma mémoire. Elle a donné lieu à un article, intitulé Les femmes sud-vietnamiennes - Illustration de la générosité, de la simplicité et de l’héroïsme.

Des lauréats du concours «La VNA dans mon cœur» (l’auteur est première à gauche), le 25 août 2015.
Photo : Quý Trung/VNA/CVN

Le reportage a été rédigé début 1974 dans une «région libérée» (c’est-à-dire gérée par les Forces de libération du Sud) relevant de la province de Tây Ninh (alors prise par les forces proaméricaines), à proximité de la frontière avec le Cambodge, à l’occasion d’un meeting en l’honneur de la Fête internationale des femmes, (8 mars). Un événement significatif dans la résistance anti-américaine au Sud Vietnam, organisé avec solennité par l’Union des femmes de libération du Sud. Comme son titre l’indique, l’article faisait ressortir l’image des femmes du Sud à la fois simples et vertueuses, travailleuses et indomptables, prêtes à confier leurs enfants à la Révolution, à se sacrifier pour la lutte contre les agresseurs, pour la libération et l’édification de leur terre natale.

Le meeting a été présidé par Nguyên Thi Đinh, commandante en chef adjointe générale des Forces de libération du Sud, présidente de l’Union des femmes du Sud Vietnam. Les préparatifs ont été faits des semaines à l’avance : recherche d’un lieu convenable, construction de la tribune, installation des équipements, mobilisation des camions chargés d’aller chercher les déléguées dans diverses localités, préparation du déjeuner, sécurité, etc.

La correspondante Nghĩa Đàn et son vélo «made in R», en 1974.

Une mission à bicyclette

En me voyant confier par le chef de l’Agence de presse de libération du Sud (APL) la rédaction d’un article sur ce meeting, j’ai ressenti une joie mêlée de crainte. De la joie parce que c’était la première fois dans ma vie professionnelle que je pouvais exercer mon métier sur le terrain, dans le Sud alors en guerre. Je faisais partie d’un groupe de journalistes frais émoulus de la VNA, à Hanoi, envoyés récemment au front du Sud renforcer l’APL. De la crainte parce que la mission m’obligeait à faire cinq heures de vélo sur des sentiers forestiers, raboteux à souhait, avec le risque non négligeable de tomber sur des soldats Khmers Rouges.

Heureusement, j’avais un compagnon de route expérimenté en la personne de Nguyên Đình Khuyên, alors chef du Service des affaires politiques et étrangères de l’APL. Un journaliste de guerre originaire du Nord, présent sur les champs de bataille du Sud depuis 1965.

Le jour J, à l’aube, Khuyên et moi partons pour le meeting qui doit se tenir dans une clairière au cœur de la forêt de Lo Go - Xa Mat, à une quarantaine de kilomètres de l’APL. Nous prenons chacun un vélo «made in R» (R abréviation de «rừng», «la forêt» en français, bref «le maquis») : sans sonnette, sans frein, sans phare, sans garde-boue, sans garde-chaîne... En route ! Le sentier forestier sinueux semble interminable. Les heures s’écoulent. La bicyclette inconfortable me fait haleter. Mais Khuyên, qui pédale résolument devant moi, me redonne de l’allant.

Nous arrivons finalement vers dix heures du matin au point de rendez-vous. Le soleil est déjà haut dans le ciel. La clairière autrefois couverte de broussailles s’est transformée en une vaste étendue de terre battue. À l’extrémité du terrain se dresse une tribune faite des tronçons de bois fraîchement coupés. Au fond de la scène trône le drapeau du Front de libération du Sud Vietnam, avec à côté une grande banderole portant cette inscription : «Célébration du 64e anniversaire de la Journée internationale des femmes (8 mars 1910 - 8 mars 1974) et du 13e anniversaire de l’Union des femmes de libération du Sud Vietnam (8 mars 1961 - 8 mars 1974)». Le décor est planté. Sous les arbres entourant le terrain, je distingue de nombreuses silhouettes féminines. «Environ un millier de femmes sont venues en camion ce matin de tous les coins de la région libérée. Elles se reposent. Après le meeting, les camions les ramèneront chez elles», m’explique un agent de sécurité.

Un groupe de journalistes de la VNA dans le maquis du Sud, en 1974.
Photo : Long Son/CVN

Des femmes héroïques sur tous les fronts

Après avoir rencontré le comité d’organisation du meeting, Khuyên va à la rencontre des hauts dirigeants présents, alors que j’assume une nouvelle tâche : la distribution des rations (pain et eau…) aux déléguées. Une mission imprévue mais intéressante, qui me permet de deviser avec les habitantes de la région libérée. En petit comité, elles me parlent de leur famille, de leurs activités de production, de leurs enfants volontaires pour rejoindre l’armée de libération... et aussi de leur joie de participer au meeting. «La fête des femmes ? Nous ne connaissions auparavant pas ce jour où le sexe féminin est honoré partout dans le monde», me dit l’une d’elle. Cela me donne l’occasion de parler de l’histoire du 8 Mars, de brillants exemples des femmes vaillantes du Sud luttant pour la libération nationale, des femmes entreprenantes du Nord chargées d’une double mission : production et combat contre les bombardiers US. Quelle émotion lorsque ces douces «mamans» expriment leur «compassion pour les filles du Nord ayant osé traverser la cordillère Truong Son pour rejoindre la résistance au Sud».

Le meeting débute avec solennité en début d’après-midi et se termine au soleil couchant. En voyant les camions chargés des déléguées repartir les uns après les autres, je suis soucieuse : pourrons-nous rentrer à l’APL avant la tombée de la nuit ? «Ne t’inquiète pas, me dit Khuyên avec un sourire. Nous allons passer la nuit chez ma belle-mère, au village de Trai Bi, à deux heures de vélo d’ici. Et nous reprendrons le chemin demain à l’aube». Khuyên s’est marié il y a quelques mois. Son épouse, une Sud-Vietnamienne, travaille au secrétariat de l’APL. Elle a rejoint le maquis à l’âge de 14 ans.

Sur le chemin du retour, les images des mères du Sud et de leurs histoires défilent dans ma tête. Enthousiasmée, j’en parle à Khuyên. Avec ce flair professionnel qui le caractérise, il m’encourage : «Alors, après l’article sur le meeting, fais-en un autre sur ces femmes de la région libérée !».

Un bref repos sur le chemin vers le front du Sud.
Photo : Long Son/CVN

Des rencontres angoissantes

Après une heure de chemins chaotiques, deux Khmers Rouges surgissent devant nous. L’un d’eux, d’un signe de la main, nous demande de nous arrêter. Khuyên descend calmement de son vélo, leur dit quelque chose en khmer, puis retire de son sac accroché au guidon deux pains qu’il leur donne. Les «coupeurs de chemins» les prennent puis nous laissent passer. Soulagement ! Car, à cette époque-là, les Khmers Rouges arrêtaient régulièrement des passants pour les détrousser, sans parler des cas de kidnapping. L’adrénaline retombée, je me dis qu’il faut apprendre le khmer !

«Trai Bi est un village proche de la région occupée par l’ennemi où les incursions de celui-ci sont fréquentes», selon Khuyên. La famille de la belle-mère de Khuyên, qui résidait auparavant à Phnom Penh, est venue s’y installer après le coup d’État de Lon Nol au Cambodge, en 1970. Une famille nombreuse dont le père est un révolutionnaire secret et des enfants ont rejoint très jeunes les forces de libération du Sud.

Il fait nuit noire. Le chemin semble désert. Mais à l’entrée du village, un homme s’approche et nous lance : «Qui va-là ?». «Ne dis rien», me demande Khuyên à voix basse, de peur que mon accent du Nord ne complique la situation. Et de répondre, avec l’accent du Sud : «Nous sommes partis travailler ailleurs, nous revenons maintenant chez Mme Nga, ma belle-mère, à l’autre bout du village». Une explication qui convint l’inconnu.

Mme Nga nous accueille à bras ouverts et nous offre un bon repas : du poulet à la sauce de soja. «J’ai quatorze enfants, huit filles et six garçons, dont onze qui ont pris le maquis. Je les ai laissés partir tour à tour, tout jeune», confie-t-elle avec un léger sourire sur les lèvres, sans savoir qu’elle est déjà digne du titre de «Mère Héroïne vietnamienne».

Animée par les confidences si sincères de Mme Nga, je prends un stylo et, sous la lumière de la lampe à pétrole, je rédige l’article sur le meeting. Quant au reportage Les femmes sud-vietnamiennes - Illustration de la générosité, de la simplicité et de l’héroïsme, je l’ai écrit avec passion dès mon retour à l’APL.

De cette mission initiale, j’ai retiré des expériences profitables à ma carrière de journaliste. Mes missions ultérieures ont-elles aussi été marquantes. Mais, la première reste la plus présente dans mon esprit. Ce souvenir, je désirais le raconter à mes jeunes consœurs journalistes. Car nombreuses sont celles qui m’ont un jour demandé : «Durant la guerre, comment les jeunes correspondantes envoyées au front du Sud exerçaient-elles leur profession ?».

Nghĩa Đàn/CVN

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